La voix des exilés s’élève dans « Prisonnière des frontières »

30 Mar 2022

Dans une démarche engagée, Moovance s’associe à Utopia56 pour créer un pont entre l’art et l’urgence humanitaire. « Prisonnière des frontières », une création chorégraphique poignante, met en lumière la réalité brutale des personnes bloquées aux frontières.

L’art comme porte-voix

Sur une composition originale de Leon Afterbeat, Tia Balacey incarne dans sa chorégraphie la détresse et l’espoir des personnes en exil. La réalisation sensible de Morgan Eloy capture la tension entre l’enfermement et le désir de liberté, entre les barrières physiques et l’aspiration à une vie meilleure.

Des visages derrière les chiffres

Cette création rend hommage à Aman, Shakar, Saman, Ibrahim, Emebet, Alain, Nasra et tant d’autres, coincés dans le Nord de la France. Leur quotidien est fait d’attente et d’espoir : celui de traverser la Manche, malgré des conditions périlleuses, vers un avenir incertain au Royaume-Uni.

L’engagement d’Utopia56

Association d’aide d’urgence aux personnes exilées, Utopia56 œuvre quotidiennement à la frontière franco-britannique. Son action est essentielle pour offrir un accueil digne et solidaire à celles et ceux qui fuient des situations dramatiques.

La danse comme vecteur de sensibilisation

Pour Moovance, la danse dépasse le simple cadre artistique : elle devient un outil de sensibilisation et d’éveil des consciences. Cette collaboration avec Utopia56 illustre notre conviction que l’art peut et doit porter des messages essentiels sur les enjeux sociétaux actuels.

Rencontre avec Tia Balacey

Entre acrodanse et cirque, Tia Balacey développe une pratique corporelle unique qui interroge les frontières, tant artistiques que sociétales. À l’occasion du tournage de « Prisonnière des frontières », une création Moovance en soutien à Utopia 56, elle nous livre son regard sur cette expérience où l’engagement artistique rencontre l’urgence humanitaire. Une conversation qui explore les multiples facettes de son art et la force du message qu’elle porte à travers son corps.

« Commencer directement dans l’eau, en immersion totale, ça a directement imposé le cadre et […] cette scène là, malgré que ce soit super difficile, elle ne trahit pas. Dans une eau à huit degrés, c’est pas hyper évident de rester autant de temps. Mon corps parle avant moi, s’exprime malgré moi et […] c’est vrai que ces conditions là font qu’il n’y a rien de faux, on n’a pas ce curseur à devoir pousser, on a juste à prendre ce qu’il se passe. »

Découvrez l’interview de Tia Balacey

Je m’appelle Tia Balacey, j’ai 25 ans je suis originaire des Landes, sud-ouest de la France et je suis accrobate, danseuse.

À quoi ressemble ton parcours ?

J’ai commencé le cirque à mes dix ans j’ai toujours fait du cirque au final. Puis après à mes 18 ans vraiment, t’as ce choix crucial à faire de ce que tu vas faire dans ta vie. J’avais personne dans ma famille qui était dans un milieu artistique donc pour moi c’est vrai que c’était un peu… C’est un petit peu compliqué au début mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont soutenue qui m’ont accompagnée dans cette voie là et j’étais très bonne aussi scolairement donc j’étais un peu en dualité avec – je voulais être océanographe – donc j’étais vachement en dualité avec ça et je n’y connaissais rien au cirque j’avais vraiment des questions existentielles et puis malgré moi je me suis lancée parce que je sentais que c’était quand même plus fort et que, au pire j’allais reprendre les études et après mais je voulais au moins essayer. Je suis rentrée dans l’école de cirque de Bordeaux en formation professionnelle je suis complètement tombée amoureuse, j’étais convaincue, dès les sélections en fait j’étais convaincue que j’adorais ça et que c’était ce que je voulais faire. Et puis après, je suis rentrée en école de cirque supérieur au Centre National des Arts du Cirque et je suis sortie il n’y a pas longtemps, en décembre 2020.

Ton style de danse, c’est quoi ?

L’acrodanse pour moi du coup je la considère vraiment comme une discipline circassienne mais qui fait encore débat au jour d’aujourd’hui dans les écoles ou même dans le milieu. C’est un terme qui est assez compliqué ou qui est non-définissable.

Moi, j’aime la considérer comme une discipline vraiment entière et pas comme un métissage entre l’acrobatie et la danse mais j’aime aussi considérer le fait qu’il puisse exister plusieurs formes d’acrodanse et qu’il en existe autant que de gens qui la pratiquent. Je pense qu’au final j’ai un lien depuis mon enfance avec le cirque d’où il vient je sais pas j’ai l’impression que c’est vraiment… C’est un trait de caractère au final. Je l’ai approfondie au fur et à mesure mais c’est pareil, au final je n’arrivais pas à comprendre ce que j’aimais dedans.

Je sais que ce que j’aime dans le cirque c’est ces lignes de force, c’est le fait que c’est un art qui est chargé d’histoire mais qui n’a pas de codes, qui n’est pas référencé, où il n’y a pas de répertoire, où tout est possible, la négation n’existe pas et même à l’époque dans le cirque traditionnel vraiment les gens s’amusaient à remettre tout le temps… Remettre des exploits sur scène à chaque fois, réinventer, jouer avec de l’étrangeté et le corps aussi.

Comment t’adaptes-tu à ton environnement ?

En fait, chaque espace, moi c’est l’avantage, c’est que je ne considère pas que mon sol il est plat. Même dans mon acrodanse. Même si mon sol c’est un tapis de danse, je peux m’imaginer qu’il soit en flammes qu’il soit glissant enfin je m’impose des contraintes.

Là vraiment, dans le sable c’est hyper chouette parce qu’il y a vraiment une texture, il y a quelque chose que tu sens et que tu es obligé de saisir, de prendre. T’as forcément une sensation en plus avec laquelle tu dois négocier. C’est à la fois contraignant parce que ta technique forcément tu es obligé de l’abaisser parce que c’est juste pas possible ou en tout cas il faudrait s’entraîner dessus pour pouvoir l’améliorer mais à la fois c’est hyper chouette parce que ça t’ouvres aussi plein d’autres possibilités ou plein d’autres… Ça te confronte un peu à ton échec, ça te confronte à un moment qui arrive à un accident avec lequel tu es obligé de jouer et ça moi c’est ce que j’aime le plus : de ne pas avoir, vraiment pour moi ne pas avoir à créer, ne pas avoir à inventer ou à imaginer.

Je suis hyper friande de ça en fait et c’est pour ça, faire des spectacles, réinventer les lieux de spectacles au-delà de juste pour de la vidéo, mais même recréer des spectacles dans des lieux publics, dans une niche, peu importe en fait, peu importe, ça à sa place partout et moi je rêverais de ça ! Je rêverais de pouvoir démocratiser le cirque et qu’on le considère plus avec des images mentales, le clown, les animaux, le body à paillettes… Enfin j’aimerais énormément pouvoir sortir de ça et je pense honnêtement que ça passera vraiment par les réseaux sociaux,
par l’écran en fait, les supports visuels je rêverais de pouvoir inviter encore plus, de pouvoir… D’arriver dans l’espace et pas de leur dire « venez chez nous » mais plutôt de leur dire « on vient chez vous mais venez voir ce qu’il y a à l’intérieur »

Pour toi, quel est le lien entre la vidéo et la danse ?

Alors ce qui est drôle c’est que le lien avec la vidéo pour moi il s’est vraiment fait pendant le confinement, même post-confinement où j’étais vraiment en manque de scène, en manque de partage et j’avais besoin d’un endroit d’exposition en fait et en l’expérimentant du coup je me suis rendu compte de tous les espaces que ça offrait, de toutes  les possibilités qu’il y avait à travers les techniques visuelles, il y avait vraiment un monde à découvrir où on peut s’amuser avec des règles de mise en scène.

On s’amuse quand on crée par exemple la position du spectateur. On peut s’amuser à le mettre en 360 degrés, en 180 degrés, au dessus ou en dessous mais on fait avec les moyens qu’on peut et une caméra offre un angle de vue que qui pourrait être impossible à avoir au final, par plusieurs personnes en même temps ça c’est je trouvais ça super chouette en fait parce que moi avec mon corps j’aime faire des noeuds m’amuser a justement à ce qu’on ne comprenne pas ce que je fais. La caméra peut amplifier justement toutes les notions, tout ce que l’on aimerait, qu’on travaille déjà mais qu’on aimerait développer tout ça encore plus donc pour moi c’est un peu un amplificateur la caméra.

Le lieu de performance ou de représentation t’inspire-t’il ?

Le lieu il m’a toujours inspirée au final je crois, parce que quand j’ai commencé le cirque, ce qui m’a inspirée le plus c’est presque le chapiteau, l’ambiance que ça créé. Moi je fais de l’acrodanse donc c’est une des seules disciplines dans le cirque où il n’y a pas d’agrès, hormis le sol qu’on pourrait considérer. Et au final, ce que je trouve génial, c’est que les lieux sont, enfin pour moi, c’était cadeau en fait.

C’est des contraintes qui sont imposées, que je n’ai pas à recréer donc je suis dans du vrai, temps du présent et c’est ça que je trouve super et ce que j’adore avec le lien avec la vidéo par exemple, c’est que la vidéo ça triche pas. Un spectacle il est écrit, mais tous les jours il peut être
différent, alors que la vidéo elle est ancrée ça reste vraiment fixe mais si tu es vulnérables dans une vidéo si tu montres des moments, des choses qui peuvent appartenir qu’à ce temps-là, c’est là où pour moi il y a une vraie justesse. Il y a un vrai lien entre le spectacle, mon art vivant et la vidéo.

Pourquoi avoir participé à « Prisonnières des frontières » ?

J’avoue que quand vous m’avez contactée, j’étais hyper partante, enfin je le suis encore hein !
Je suis très heureuse d’avoir fait ce projet là et ce qui me plaisait avant tout c’était pour une fois d’avoir une équipe qui était intéressée par ça parce que souvent toutes les vidéos que j’ai pu faire avec des gens qui sont intéressés mais qui n’ont pas forcément de connaissances et où s’est pas développé, c’est pas forcément une envie personnelle alors que là pour le coup, moi je trouvais ça super de travailler avec des gens qui ont envie de mettre en avant vraiment la danse pour la caméra, comme la caméra pour la danse, que les deux soient au service l’un de l’autre. C’est aussi un projet où il y a un propos fort, c’est pas forcément ce que j’ai l’habitude de faire ou de défendre non plus personnellement du coup c’était aussi un petit challenge et puis les conditions l’étaient aussi, mais après moi j’avoue que j’adore, j’adore relever le défi, me mettre dans des zones inconfortable donc ouais je me suis dit « pourquoi pas » et je suis hyper je sors d’école, je commence tout juste donc j’ai hyper envie d’expérimenter d’apprendre, j’ai hyper faim, je suis hyper gourmande et donc plus j’en fais plus je suis heureuse au final.

Quel est ton rapport à la musique ?

Alors la musique, je me souviens que quand j’étais petite, c’était quelque chose qui m’aidait beaucoup à imaginer, où je voyais beaucoup d’images de tableaux dès que j’écoutais une musique.

Et puis ça s’est perdu au fur et à mesure et c’est vrai que dans le cirque en fait, contrairement à la danse où en danse tu chorégraphie sur de la musique, dans le cirque, dans l’histoire c’est un peu l’inverse : t’as un orchestre qui suit l’artiste. Et puis, ce que j’aime moi, au final avec la musique c’est la compléter. J’aime pas forcément la superposer donc quand je travaille avec de la musique, je travaille avec des musiques souvent très très différentes pour pouvoir justement voir quel espace… Où ça converge, où ça se rencontre les deux et là.

Comment t’es tu inspirée de la musique composée par Leon Afterbeat pour « Prisonnière des frontières » ?

Sur ce projet là, c’est vrai que la musique je l’ai écoutée en boucle surtout en venant dans le train et particulièrement ce qui me plaisait dedans, c’est les espaces en fait qu’elle créee, je trouve toujours ça très difficile de créer une musique pour de la danse parce que elle aussi elle doit ouvrir un espace, le corps en ouvre un autre et donc à quel endroit, sur qu’elle couche on les fait se rencontrer et celle ci, elle offre de la place à un corps.

Qu’as-tu ressenti pendant le tournage ?

Je crois que ça va être très difficile de définir les ressentis parce que je suis encore à chaud au final, je n’ai pas assez de recul. C’était froid, c’était très froid.

Pour être honnête je pense que le fait de l’avoir tourné quasiment dans la chronologie ça m’a énormément aidée aussi et de commencer direct dans l’eau, en immersion totale, ça a directement imposé le cadre et forcément ce qui était super chouette avec cette scène là, c’est que malgré que ce soit super difficile, elle était… Elle trahit pas. Dans une eau à huit degrés c’est pas hyper évident de rester autant de temps. Le corps, mon corps parle avant moi, s’exprime malgré moi et moi j’adore pouvoir juste saisir et c’est vrai que c’est juste ces conditions là qui font qu’il n’y a rien de faux, il n’y a même pas juste quelque chose, on n’a pas ce curseur à devoir pousser, on a juste à prendre ce qu’il se passe.

Donc c’était hyper agréable de ne pas avoir à se forcer, d’avoir vraiment cette sensation d’être dans le présent, même si c’était dur au final. Et puis c’était aussi un peu expérimental et un défi pour moi, même en terme de sensations. J’ai jamais éprouvé ça, de rester autant de temps dans une eau aussi froide, de perdre un peu la vue, de trembler en continu pendant une heure, de plus sentir mes membres, de devoir me concentrer pour garder une énergie juste pour être là en fait donc c’est vrai que j’avais jamais poussé mon corps à cette limite là donc ça c’était hyper chouette et puis du coup on se rend vraiment compte aussi de ce que les gens peuvent vivre, de tout ce que les migrants peuvent subir. Alors certes, c’est à une échelle infime, mais c’est vrai que ça nous met face à une réalité et je pense que c’est toujours un peu rude mais on est toujours plus sensible quand on est touché.

Je me suis complètement sentie plus en lien à ce moment là et je me dis « waouh, enfin c’est… C’est dur. »

Des projets à venir ?

J’ai des projets à venir. En moment je travaille avec Raphaëlle Boitel principalement de la Compagnie L’Oublié(e) sur le spectacle Ombre portée, on reprend aussi notre spectacle de sortie qui s’appelle Le Cycle de l’absurde qui a joué juste deux semaines à cause du Covid et du coup j’ai plusieurs projets à venir avec elle et moi à côté j’ai énormément envie d’aller de plus en plus dans tout ce qui pourrait être des supports visuels, d’autres domaines comme la mode, de faire du lien en fait entre plusieurs domaines, ne pas me contenter juste à faire de la scène mais de pouvoir trouver d’autres espaces.

Un mot pour la fin ?

Oui, je crois qu’il y a quelque chose que j’ai envie de dire, qu’on m’a pas assez dit. C’est très bateau, c’est très simple mais c’est juste de croire, vraiment de croire et de rendre possible les choses. Et de ne pas se mettre de limites en fait, nous on se les impose, la société nous les impose, mais si on a envie de les franchir c’est possible et ça je trouve ça hyper important parce qu’on l’oubli trop vite ou on se l’interdit.

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