Dans le cadre de notre série de portraits d’artistes, nous plongeons dans l’univers singulier de Marion Binois, alias Oïra. Artiste pluridisciplinaire, elle crée des mondes où masques, installations et performance se rencontrent pour donner naissance à des créatures aussi fascinantes qu’émancipatrices.
De la contrainte à la libération
D’abord danseuse contrariée – « quand je disais que je voulais être danseuse, on me riait au nez » – Marion Binois trouve sa voie dans la scénographie avant de revenir à la danse par les chemins de traverse. C’est à Nantes qu’elle découvre sa propre gestuelle, développant une approche unique basée sur la dissociation et l’isolation des mouvements. Sa danse, nourrie par le break et le Krump, devient un dialogue constant entre corps et matière.
La naissance des monstres
C’est en 2018 que naît véritablement son univers artistique actuel. Face à l’objectif d’un appareil photo qui l’intimide, elle transforme des chutes de tissu en masque protecteur. Cette expérience devient une révélation : le masque n’est plus un artifice qui dissimule, mais un outil qui révèle. « Pour moi, le masque est une progression, pas quelque chose qui vient cacher définitivement », explique-t-elle.
Des créatures comme miroirs
Chaque « monstre » d’Oïra incarne une facette d’elle-même. Il y a Fox, qui apprivoise la peur de la scène, Édouard qui exprime son « je-m’en-foutisme », ou encore Marguerite, qui explore le droit à la vulnérabilité. Ces créatures deviennent des compagnons de voyage, accompagnant l’artiste – et maintenant d’autres performeurs – dans un processus de transformation personnelle.
Un art sans frontières
Aujourd’hui, Oïra rêve de faire tomber les barrières entre spectacle vivant et arts visuels. Son ambition : créer des installations immersives où la performance se déploie sur la durée d’une exposition. « J’aime bien le côté immersif où tu rentres dans un autre monde », confie-t-elle, « plutôt que de voir juste quelque chose de figé ou juste quelque chose dans le mouvement, t’as un peu les deux qui sont imbriqués l’un dans l’autre. »
Rencontre avec Marion « Oïra » Binois
Entretien avec Marion Binois alias Oïra, artiste pluridisciplinaire qui fusionne danse et arts plastiques à travers ses créatures. Une plongée dans un univers où les monstres deviennent des alliés de la création artistique.
« J’aime beaucoup la dimension plastique parce qu’elle vient inspirer ce qui se passe dans le corps et le corps vient inspirer ce qui se passe dans le plastique. […] Pour moi, les deux côtés de la pratique sont toujours en relation, toujours en dialogue, et l’un apporte à l’autre tout le temps.«
Découvrez l’interview d’Oïra
Je m’appelle Marion Binois. Mon blase, c’est Oïra. On va dire que je crée des univers. Ça rassemble des masques, des installations, des décors et en général je performe dedans. Du coup, je crée des monstres dans des univers. Et l’idée, c’est d’immerger les gens dedans.
Comment définirais-tu ton univers ?
En fait, ça peut prendre plusieurs formats. Là par exemple, on va sortir un court-métrage, mais du coup un court-métrage qui est aussi performé. Donc vraiment le lien, c’est toujours le corps et donc du coup ça peut être dansé, mais ça peut être aussi juste des états de corps, ça peut être un peu plus théâtre physique on va dire. Il y a toujours un fort lien avec le son, que ce soit en musique ou pas. J’aime beaucoup la dimension plastique parce qu’elle vient aussi… En fait, elle vient inspirer ce qui se passe dans le corps et le corps vient inspirer ce qui se passe dans le plastique. Et du coup, pour moi, les deux, les deux côtés de la pratique sont toujours en relation, toujours en dialogue, et l’un apporte à l’autre tout le temps.
Comment fais-tu dialoguer corps et matière ?
J’aime beaucoup la dimension plastique parce qu’elle vient inspirer ce qui se passe dans le corps et le corps vient inspirer ce qui se passe dans le plastique. Et du coup, pour moi, les deux côtés de la pratique sont toujours en relation, toujours en dialogue, et l’un apporte à l’autre tout le temps.
Des débuts en danse aux arts plastiques
En gros, je suis normande, je viens de la campagne. Et j’ai toujours dansé dans des… Je prenais des cours de danse dans mon village, mais il y avait un cours de danse. Et on faisait en gros les mêmes mouvements dans un ordre différent, sur des musiques différentes, tous les ans. En vrai, avec le recul maintenant, pour moi je dansais pas, je faisais juste du sport. Mais pendant longtemps j’ai eu juste cette vision-là. Et quand je disais que je voulais être danseuse, on me riait au nez, on me disait : « bah non, t’as pas fait le conservatoire, à cinq ans, c’est mort ».
La découverte de sa propre danse
Grâce à une prof d’arts plastiques, je suis partie en scénographie. En bac art appliqué, tout ça. J’ai continué un peu à danser, je me suis dit comme ça je vais faire les décors pour les spectacles de danse, en fait. Je peux pas être danseuse, mais au moins je suis un peu dedans quand même.
Et après je suis partie à Nantes et c’est là où j’ai commencé à découvrir que je pouvais danser par moi-même. J’ai commencé à rencontrer des danseurs, dont Nass qui était mon prof de break à l’époque. Et là, j’ai découvert que je pouvais vraiment danser par moi-même, que je pouvais faire des choses et que je n’étais pas juste contrainte à suivre un prof de danse. Et donc, j’ai commencé par le break.
C’était pas vraiment pour moi, en vrai. Parce que tout ce que j’aimais faire c’était des freezes bizarres, mais après le reste était compliqué et en fait j’avais zéro maîtrise de mon corps. Aujourd’hui, je suis beaucoup dans la dissociation, dans l’isolation, dans les équilibres, les extensions, les choses comme ça. Et avant mon corps, c’était juste un espèce d’énorme truc comme ça, tout flagada qui se tenait pas.
Comment as-tu fait évoluer ta pratique ?
Je sentais que l’endroit où j’étais me plaisait, mais que la danse que je faisais ça… il y avait un truc qui collait pas. Et après quelques blessures, des petites blessures. Mais j’étais un peu chez le kiné et il m’a parlé de visualisation, de tourner mes articulations pour les échauffer et tout ça. Et j’ai commencé à passer mon temps, à juste tourner mes articulations et jusqu’à les sentir vraiment, vraiment sentir chacune et après me dire : « Ok, si je prends le son qu’avec les poignets, qu’est ce que ça donne ? » « Ok, et si c’est que les coudes. » Et j’ai commencé. Si tu les connectes entre-elles. Si je danse dans la mer, si je fais le courant, ça fait quoi ? Si je suis le vent, ça fait quoi ? Si je suis sur le sable ? C’est pas la même chose que si je suis dans la forêt ? C’est pas la même chose que si je suis dans la rue.
Comment définirais-tu ton style aujourd’hui ?
En vrai, ma danse de base c’est un peu une influence de toutes ces choses-là et beaucoup du ressenti du corps. Ce qui m’importe ce n’est pas le visuel, c’est pas l’esthétique mais plus : qu’est-ce qui se passe dans mon corps et qu’est-ce qui vient ? Qu’est-ce que je viens ressentir ? Où passe la tension ? Où passe le mouvement ? En gros. Et ma danse de base, c’est ça. Et au bout d’un moment, j’ai arrêté de… d’avoir peur on va dire des autres bases.
J’ai eu besoin d’avoir autre chose. Et ça faisait déjà longtemps que je trainais dans la culture Krump. Et petit à petit je me suis mise, je me suis mise dedans et aujourd’hui en fait les deux viennent se compléter. Il y a quelque chose de commun dans le sens où ça a besoin de chercher quelque chose au fin fond, à l’intérieur, et en même temps c’est différent dans sa forme. Et donc les deux viennent… oué, viennent juste compléter ma danse au sens général, on va dire.
La naissance des monstres
En gros, le début des monstres, c’était 2018 ou 2019, je ne sais plus. On a fait une résidence avec des potes dans une maison comme ça, juste pour s’amuser un peu. Et certains d’entre eux, il y en a deux d’entre eux qui avaient une marque de vêtements à l’époque, ils avaient un délire autour du noeud. Il y avait plein de nœuds sur leurs vêtements et ils m’ont dit : « Marion, on va te shooter dans les vêtements. »
Et là, je leur ai dit : « c’est méga mort », parce que je ne suis pas du tout, mais pas du tout à l’aise devant une caméra. Ils ont insisté, insisté : « non, on veut de toi, on veut te prendre. Tout le monde y passera, toi aussi. » Et je me suis dit : »Wouah , comment je fais ? Comment je fais ? » « Ok. »
Et je leur ai dit : « d’accord, mais donnez moi des chutes de tissus. » Et du coup j’ai commencé à me nouer des chutes de tissus sur toutes les parties de mon corps qui étaient libre. Et donc, visage inclus. Et pour la première fois de ma vie, je me suis sentie à l’aise devant la caméra.
Mais du coup, ça faisait vraiment un espèce de monstre, enfin. Et j’ai tendance à prendre aussi beaucoup dans mes postures et tout. Du coup à chaque fois je jouais des espèces de personnages un peu différents. Et le fait d’avoir un truc sur le visage, ça me permettait de me dire enfin, en fait, de sortir de mon stéréotype de Marion qui a peur de la caméra et de me mettre dans la… c’est pas dans la peau de quelqu’un d’autre, c’est dans ma peau, mais d’une petite personnalité qui est derrière, qui est un peu cachée.
J’ai commencé en fait à rechercher du coup la matière et à transposer ces monstres, mais plutôt dans des masques. Enfin, les tout premiers, c’étaient des masques. Et ensuite, j’ai commencé à faire aussi des corps. Je prenais des… je moulais des parties de mon corps et je faisais. Il y a toujours eu un peu cette idée de tentacules, de choses qui ressortaient.
Que représentent ces masques pour toi ?
Pour moi, le masque c’est je le vois comme une progression, pas comme quelque chose qui vient cacher définitivement. Et en gros, le masque qui vient pour pouvoir laisser ce trait de personnalité ou ce petit je ne sais pas, ce petit quelque chose ressortir. Une fois qu’on est à l’aise avec le masque, on peut retirer le masque et le garder dans la réalité. Et aujourd’hui par exemple, je dis pas que je suis la personne la plus à l’aise de la planète devant une caméra, mais ça va.
Que représentent ces masques pour toi ?
Pour moi, le masque c’est je le vois comme une progression, pas comme quelque chose qui vient cacher définitivement. Et en gros, le masque qui vient pour pouvoir laisser ce trait de personnalité ou ce petit je ne sais pas, ce petit quelque chose ressortir. Une fois qu’on est à l’aise avec le masque, on peut retirer le masque et le garder dans la réalité. Et aujourd’hui par exemple, je dis pas que je suis la personne la plus à l’aise de la planète devant une caméra, mais ça va.
La plupart du temps, tous mes monstres sont créés souvent par rapport à un trait de moi du coup. Une partie de moi. Plutôt de sentiments ou de choses qui viennent du fond de moi. On va dire.
Par exemple Fox, c’est vraiment un monstre qui pour moi représente le processus du monstre. Ce truc d’avoir un peu peur de venir, de monter sur scène, de s’exposer un peu. Il vient du coup comme un… comme une espèce de protection. Et il permet de juste, au moins se lever et de se dire : « ok, vas-y » et si j’essaie et si j’essaie un peu plus, j’essaie un peu plus c’est : « ah ouais mais en fait c’est assez cool, je ressens bien ce qui se passe autour de moi ». Et peut être que je peux aller plus loin.
Et en fait, tu commences à te sentir bien avec le monstre et à un moment donné tu dis : « ok, je peux prendre le monstre, je peux le retirer ». Lui dire : « ba écoute, en vrai merci, c’est cool, mais je vais essayer de faire mon chemin maintenant ». Tu repasses par cette idée de… voir un peu tout le processus mais en plus rapide du coup. Ou, ok, en fait je vais essayer de retester, de voir si ça marche aussi dans la… avec mon propre visage tout ce que, tout l’endroit où je suis passé avec le monstre.
Il y a Edouard, c’est lui, c’est un peu mon « je m’en foutisme », je crois. il peut avoir un truc un peu, un peu sombre et un peu. Je sais que souvent, on me dit que j’ai une tête qui n’est pas toujours très accueillante mais en même temps, d’un coup il peut partir en cacahuète et enfin, ouais, on peut courir partout on va dire.
Des fois, c’est juste une surface et des fois c’est juste, c’est que ça peut être quelque chose de plus, de plus intérieur, comme Marguerite, le dernier sur lequel j’ai beaucoup bossé. Où lui, c’est… j’ai beaucoup l’impression, enfin beaucoup moins maintenant. Mais pendant une grosse période de ma vie, j’avais l’impression de vraiment être un peu la valeur sûre de tout le monde et de pas pouvoir échouer ou pas pouvoir tomber. Qui doit maintenir tout en place autour de moi et donc du coup je peux pas faiblir et j’avais vraiment ce truc-là.
Et Marguerite justement, c’est… c’est cette personne là, mais qui prend conscience qu’en fait elle aussi elle a le droit de… Ba, un jour peut être, il y a un pote qui va t’appeler, qui va avoir besoin de toi, mais peut être que t’es pas bien, que tu pourras pas venir et c’est « ok » en vrai. Et peut être que aujourd’hui, t’as envie de te terrer dans le fond de ton lit. Et alors ? T’as le droit aussi. Peut être que là tu vas échouer ? Ben c’est pas grave, tu recommenceras quoi.
Et c’est le premier aussi que je transmets à quelqu’un. J’ai réalisé un court métrage autour de celui-là et je me suis dit : « ok, je peux pas être au four et au moulin. Il va falloir qu’à un moment donné, je donne le bébé un peu à quelqu’un. » C’est Marine qui l’interprète maintenant. Et donc, on a chorégraphié toute une performance et donc le court-métrage. Et donc, c’est elle qui le joue. Et ça n’a pas été évident de le transmettre à quelqu’un, en vrai. C’est aussi super, c’est super cool aussi de le voir et de pas… de pas que l’incarner, mais aussi de le voir sorti à l’extérieur, un peu.
Entre deux mondes artistiques vers des projets futurs
Là, ce qui est pas toujours pratique, c’est que je suis un peu entre deux endroits. Spectacle vivant avec toutes les parties, toute la partie un peu performance et art visuel avec toute la partie monstre, installation, etc. Et en gros, les danseurs me disent : « ouais, il faut que tu ailles dans un théâtre ». Et les gens de l’art visuel me disent : « ah ouais mais non, il faut que j’aille faire des expos ». Et en soit techniquement, je fais les deux, mais j’ai vraiment envie de regrouper.
Je pense de créer des projets sur une durée un peu plus longue dans le sens où vraiment avoir une une installation énorme. Avoir des performeurs, mais qui performent pas sur vingt minutes, mais qui performent sur la durée presque de l’exposition, du jour d’exposition en fait. Je ne sais pas, mettons le… le lieu d’exposition est ouvert pendant six heures, pendant six heures, il y a quelqu’un qui performe.
D’un côté c’était dans cette idée d’exposition, mais en même temps ça reste aussi quelque chose d’hyper vivant. Enfin, moi j’ai beaucoup cette image de… de regarder un tableau et de me dire : « mais comment j’ai envie d’être dans le tableau ». Ou alors j’aimerais trop qu’eux viennent, enfin que le tableau vienne et sorte, enfin que le personnage sorte du tableau ou quoi. J’aime bien le côté immersif et où tu rentres dans un autre monde. Et plutôt que de voir juste quelque chose de figé ou juste quelque chose dans le mouvement, t’as un peu les deux qui sont imbriqués l’un dans l’autre quoi.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Les personnes qui m’inspirent le plus en vrai, c’est les personnes qui sont autour de moi. Parce que je vois leur processus de création, je vois comment tout évolue. Si tu connais la personne, tu as une lecture différente aussi je pense de son travail, parce que tu as du détail en plus que le public, autre, n’a pas.
Un truc qui me tourne pas mal dans la tête, c’est plutôt les gens qui font de la musique. Créer tout l’univers d’un clip ou quelque chose comme ça. Et un jour, j’aimerais bien créer l’univers d’un film. Je vais pas forcément le réaliser moi-même, mais juste vraiment penser tout l’univers, que ce soit la scénographie, le costume, tout, vraiment toute cette partie là, j’aimerais beaucoup. Et oui, et même des spectacles, mais ça c’est un peu évident du coup. Mais… Mais j’aimerais bien bosser, ouais un peu… En fait, ouais, être dans pas mal d’endroits différents. Et c’est ça aussi qu’il faut clarifier parce que je peux pas tout faire en même temps.
Un nom de monstre trouvé post-tournage : Fleur
Alors le monstre sur lequel, que je vais présenter aujourd’hui, il n’a pas encore de nom [Désormais, il s’appelle Fleur, est on trouve que c’est un joli petit nom pour ce démon de l’artiste]. Je n’ai pas encore trouvé. C’est toujours la partie galère, du coup. En vrai, c’est celui-là. Et c’est… un des premiers monstres que j’ai créé il y a… lors de ma première résidence.
En général, quand je fais un monstre, quand je suis en train de le fabriquer, je ne suis pas… Je ne sais pas forcément où est-ce qu’il va m’emmener. Et c’est quand je le porte, à force de le porter qu’il devient, qu’il me dit un peu, qui il est, où est ce que je vais avec. Et qui me donne… L’état de corps, on va dire, dans lequel je suis, même si techniquement ma danse ça reste ma danse. Je ne vais pas avoir une danse qui est extérieure à moi, mais par contre il m’oriente vers quel trait de ma danse va être plus appuyée on va dire.
Mais en gros il est vraiment autour du démon de l’artiste, Et donc du coup, et ce monstre-là, pour moi c’est un peu genre tous les tumultes intérieurs qu’on a quand on crée quelque chose, on va dire. Et je parle de l’artiste parce que c’est l’endroit où je suis, mais je pense qu’on peut tous avoir ça. C’est cette espèce de… je sais pas, c’est fantôme, c’est le mot, mais d’un peu de, ouais de fantômes, d’entités un peu antérieures. Cette espèce d’esprit là, qui est là et qui qui joue avec nos émotions, quoi.